9 Avril 2020

[Covid-19] Comment l’exploration spatiale nous éclaire sur les risques de contamination

Et si les mesures de protection planétaire classiquement associées aux missions spatiales nous aidaient à penser la crise que nous traversons ? Expert éthique au CNES, Jacques Arnould voit dans la pandémie actuelle une analogie avec l’exploration d’un territoire inconnu.

 

Depuis quelques semaines, face à une crise sanitaire mondiale d’une ampleur inédite, de nombreux Etats ont pris des mesures de confinement plus ou moins strictes. La moitié de l’humanité se trouve contrainte dans ses mouvements afin de ralentir la propagation de la pandémie de Covid-19. Les gouvernants espèrent de la sorte briser la chaîne de transmission du virus et ainsi limiter le nombre de nouvelles contaminations de personne à personne : se confiner permet à la fois de se protéger et de protéger les autres. Sans que l’analogie soit complète, ces circonstances exceptionnelles rappellent des situations couramment vécues dans le domaine spatial, où la question de la contamination fait partie des sujets très sensibles qu’il faut anticiper dès lors que l’on parle d’exploration.

La pandémie, un territoire inconnu

Pour Jacques Arnould, expert éthique au CNES, la pandémie peut s’envisager comme un territoire inconnu à explorer :

Comme dans l’exploration spatiale, nous faisons face à une situation nouvelle que nous ne connaissons pas encore. Nous pouvons imaginer, nous projeter en nous appuyant sur des expériences passées. Mais nous ne pouvons pas prévoir l’ampleur, la gravité de la pandémie, sinon la situation serait plus simple à gérer, par nos dirigeants comme par chacun d’entre nous.

Lorsqu’une sonde ou un équipage s’envole vers un lieu extraterrestre, des précautions s’imposent pour éviter toute forme de contamination : les spécialistes parlent de protection planétaire.

« Quand nous envoyons une sonde sur Mars, explique Jacques Arnould, nous devons d’abord nous assurer de ne pas y transporter des bactéries terrestres. C’est un peu la situation du malade qui porte un masque devant son visage pour ne pas transmettre le virus. Mais nous devons aussi prendre soin de nous protéger, nous les Terriens, lorsque nous ramenons des échantillons « extraterrestres », aujourd’hui d’une comète, demain de Mars. Donc, nous appliquons un confinement strict à ces échantillons et protégeons les chercheurs qui les étudient, ainsi que les Terriens. Lorsque les équipages d’Apollo sont revenus de la Lune, ils ont été mis en quarantaine. La protection planétaire est prise très au sérieux par les scientifiques et les ingénieurs, car elle s’applique à des domaines qui nous sont en grande partie inconnus et que nous explorons. »

Se mouvoir dans une situation mouvante

Ce contexte d’exploration et de précaution qui confronte l’humanité à des domaines qu’elle ne connaît pas, qu’il s’agisse d’un corps céleste ou d’une maladie, soulève des questions éthiques liées à la connaissance et à la prise de décision, poursuit Jacques Arnould. « En abordant ce territoire inconnu, nous prenons un risque. Puis au fur et à mesure, l’accumulation de nouvelles connaissances modifie notre évaluation de ce risque et sa gestion. En connaissant mieux ce territoire, nous nous rendons compte qu’il est moins dangereux ou au contraire plus dangereux que prévu. Nous devons donc en permanence adapter les mesures que nous prenons sur ce territoire de moins en moins inconnu, d’autant plus que chaque réponse apporte de nouvelles questions. » En fin de compte, dans l’exploration spatiale comme dans la pandémie, face au risque de contamination, la difficulté est de se mouvoir dans un environnement où tous les éléments évoluent à chaque instant : nos connaissances, les risques et la situation elle-même.

Le délicat équilibre de la gestion du risque

L’enjeu est alors de trouver un juste équilibre dans la gestion du risque, en tenant compte du fait que la connaissance parfaite n’existe pas. « Nous pouvons mieux comprendre un agent pathogène ou une planète lointaine, notre connaissance en restera partielle. Même dans la décontamination, notre manque de connaissance fait que nous pouvons laisser passer des résidus, des éléments inconnus potentiellement dangereux dans l’immédiat ou par la suite. Quand nous envoyons un engin sur Mars, nous savons qu’il peut rester une petite part de bactéries que nous n’avons pas réussi à enlever de la sonde. Nous le mesurons avec le Covid-19, même en prenant un maximum de précautions, il y a toujours des éléments qui nous échappent, des situations que nous ne maîtrisons pas, des cas particuliers qui créent des résistances auxquelles nous ne nous attendions pas. » La protection planétaire nous invite donc à la mesure, conclut l’expert éthique du CNES :

Nous ne pourrons jamais aller dans les extrêmes ni pour la connaissance, qui n’est jamais globale, ni pour le risque, qui n’est jamais zéro, ni pour la protection, qui n’est jamais totale.